Archives mensuelles : décembre 2010

Jacqueline de Romilly

Le Styx ou le CHRIST

 

 

 

La Traversée du Styx, par Gustave Doré (1861)

 

"Le Christ en Croix", de Sebastian Lopez de Arteaga

Jacqueline de Romilly, éminente helléniste, qui a si bien divulgué son savoir et que l’Académie avait su distinguer en lui offrant le fauteuil de Marguerite Yourcenar, nous a quitté à l’âge de 97 ans. Elle s’était définitivement convertie au christianisme en 2008 (on pense à la conversion très tardive et tout aussi sincère de Ernst Junger).

Marguerite Yourcenar

Grâce à Emmanuel Delhoumme, j’ai découvert les circonstances de cette adhésion tardive. Jacqueline de Romilly, née Jacqueline David, avait été baptisée en 1940 dans des circonstances que l’on peut deviner. Et… elle en était resté là. C’est le Père Mansour Labacky, rencontré par hasard lors d’une vente de livres, qui lui a permis d’aller plus loin. Voici l’entretien qu’ils eurent au dégotté – et ses suites : 

« Madame, je vais vous poser une question embarrassante : où en êtes vous de votre foi ? Excusez-moi pour cette question. Je sais qu’un prêtre français n’agirait pas de la sorte, mais je suis Libanais. Elle m’a répondu : « Mon Père, je suis au seuil – N’y a-t-il pas moyen de franchir ce seuil ? – Cela va être difficile. Je me suis fait baptiser en 1940… Et puis c’est tout. Plus tard, elle m’a téléphoné pour me dire : « Père, pouvez-vous passer chez moi ? Je voudrais que vous me parliez un peu du christianisme ». Nos échanges étaient très libres et pleins d’humour. Elle s’est confessée. Le jour de sa première communion, son regard était celui d’une enfant de dix ans.
Elle m’a appelé plus tard pour me dire : « Père, vous êtes chargé de mon âme maintenant. Or vous savez que je ne suis pas confirmée ». Nous avons poursuivi ce cheminement ensemble. Il m’est arrivé à plusieurs reprises de lui donner la communion. Après sa confirmation, elle disait volontiers : « Je suis maronite maintenant ».

Le Père Labaky est un merveilleux conteur. Mais ce qu’il nous conte, c’est la réalité nue : l’histoire d’une âme. La conversion de l’académicienne ? Ce n’était pas une question de raisons ou de raisonnement. Simplement une question de temps. La grâce, cette impulsion mystérieuse qui nous fait remonter jusqu’à Dieu et à son éternité, est un mouvement profondément temporel. Saint Paul parlait à ce propos du Kairos : c’est maintenant le temps favorable ! C’est maintenant le jour du salut. J’ai rencontré tout à l’heure un jeune homme se demandant s’il ne devait pas recevoir le baptême et je lui ai fait la même réflexion, avec une image un peu plus martiale : « Vous avez une fenêtre de tir, il faut en profiter ». C’est maintenant ! Dieu ne repasse pas forcément les plats quand il se voit dédaigné. Mais il faut aussi savoir attendre ce « maintenant ». Jacqueline de Romilly l’a attendu quatre-vingt quinze ans. Ernt Jünger

Ernst Jünger

un peu plus. Mais pour d’autre le « Maintenant » intervient plus tôt, à 25 ans ou à 50 ans, et parfois par surprise. « C’est à une heure où vous n’y pensez pas que le Fils de l’homme viendra » : il ne faut pas manquer ce rendez-vous avec la grâce de Dieu qui ne se représentera pas forcément de sitôt.

Jacqueline de Romilly, avec sa merveilleuse culture grecque, aurait pu descendre devant le Styx, ce fleuve infernal où le passeur Charron fait payer trop cher le passage. Mais elle a rencontré le Christ, cet homme nommé « Salut » (« Jésus »). Et cette rencontre, à entendre le Père Labaky, lorsqu’elle a eu lieu pour la première fois dans l’eucharistie, a fait rajeunir son regard de… 85 ans.
On l’imagine dans l’aujourd’hui de cette rencontre avec le Christ, perçant le Ciel de Dieu de ses yeux très bleus dans la même éternelle première fois.

De bon  matin, la femme catholique a lu cet article de  l’abbé Guillaume de Tanoüarn sur son site METABLOG

Le manifeste des 343

Ces dames du manifeste (*)

 

 

« Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre. »

Charlie Hebdo publie en première page un dessin de Cabu où des hommes politiques se demandent
« Qui a engrossé les 343 salopes ? »

 

 

Revenons à ces dames, au nombre de 343, qui ont cru devoir informer le monde qu’elles se sont fait avorter (a). Luc Baresta a dit l’autre semaine les réflexions que leur manifeste lui inspirait au point de vue moral, philosophique, théologique. M’abstenant de tout jugement, car la science ne peut que laisser à la conscience le mandat de juger, je voudrais rapporter ici quelques faits établis par la biologie et l’éthologie et qui donnent peut-être à réfléchir.

Ces dames, donc, se sont fait avorter et veulent qu’on fasse comme elles. Pourquoi ? Pour pouvoir « être à soi à tout moment, ne plus avoir cette crainte ignoble d’être “priseˮ, prise au piège, d’être double et impuissante avec une espèce de tumeur dans le ventre. » Et comment est-on « pris au piège » ? par l’accomplissement de l’acte sexuel.

 

 

Deux conjoints, fidèles l’un à l’autre jusqu’à la mort.

Les oies sauvages…

C’est un fait que l’acte sexuel, chez beaucoup d’animaux, constitue le « piège » qui oblige les espèces à se reproduire. L’animal se livre à son plaisir, qui est très vif, sans savoir ce qui s’ensuivra. Il ne peut donc décider ses rapprochements sexuels en fonction d’un but qu’il ignore. Il en fut d’ailleurs longtemps ainsi de l’homme lui-même. Il en est encore ainsi chez quelques tribus primitives qui, dit-on, n’ont jamais fait le rapprochement entre l’acte sexuel et la fécondation de la femme.

Mais pour une foule d’espèces, il est exact de parler de « piège » à propos de l’acte sexuel. Chez les canards, les oies, les cygnes et de nombreux oiseaux, cet acte ne joue qu’un rôle mineur et passager dans la transmission de la vie. Le « piège », chez eux, ne se situe aucunement au niveau de l’accouplement, mais à celui, le croirait-on ? de l’amour, de l’attachement indéfectible à une personne unique. Quand on sépare un couple d’oies, les deux conjoints (qui seront fidèles l’un à l’autre jusqu’à la mort) montrent toutes les marques de l’abattement et du désespoir, refusent longtemps de se nourrir et ne chercheront jamais, ou seulement au bout de longues années, un autre compagnon. L’acte sexuel sans amour ne les intéresse pas, en dépit des hormones que leurs glandes continuent de répandre impitoyablement dans leur sang au moment des amours. Mieux : si, au moment des amours, on met fin à leur séparation, que croit-on qu’il arrive ?

Les voit-on se précipiter l’un sur l’autre pour libérer la pression de leurs glandes ? Pas du tout ! Ils passent d’abord plusieurs heures à s’exprimer l’un à l’autre leur joie des retrouvailles et à se promener côte à côte en caquetant. Ce n’est que quand ils auront épuisé cette joie et l’excitation qu’elle suscite en eux qu’enfin ils se rapprocheront.

 

 

Ces dames de l’Observateur objecteront sans doute que chacun a sa nature et que celle de l’oie n’est pas forcément celle de la femme. Certes ! rien de plus vrai. Un petit détail cependant : ce que je viens de décrire ne s’observe que chez les oies sauvages vivant la vie libre et naturelle conforme à leurs instincts. Le comportement sexuel de l’oie domestique condamnée à la promiscuité des élevages montre au contraire qu’elle signerait sans hésiter le manifeste de l’Observateur.

 

Comme les singes dont j’ai parlé dans une précédente chronique (b), l’oie domestiquée perd toute la complexité de ses comportements amoureux, son attachement à un être unique, son sens de la famille. Ses instincts sociaux s’effondrent. Le seul instinct qui subsiste dans ce domaine et qui même prend une importance obsessionnelle, c’est celui de la copulation. L’oie n’est pas l’homme, c’est entendu. Mais il est difficile d’échapper à des rapprochements.

 

 

 

 

 

… et les enfants du bon Dieu

 

Robert Mearns Yerkes

Aucun animal n’est l’homme. Le singe non plus n’est pas l’homme. Cependant sa physiologie et même sa

Irenaüs Eibl-Eibesfeldt

psychologie le rapprochent de nous. La sexualité du chimpanzé, étudiée sur ce point par Yerkes et ses collaborateurs [1], montre une ressemblance troublante avec celle de l’homme : c’est que, cas unique dans le monde animal, il existe parfois chez lui une sexualité sociale finalisée, non plus seulement sur la reproduction, mais sur les liens personnels de la femelle et du mâle. En effet, la copulation peut intervenir chez le chimpanzé en dehors des périodes d’œstrus de la femelle dans ce cas précis, la copulation n’a donc pas pour fonction la reproduction de l’espèce. Quelle fonction alors ? Les observations de Yerkes ne laissent aucun doute sur ce sujet : la copulation sans autre but qu’elle-même valorise la femelle aux yeux du mâle et transforme sa condition sociale. L’Allemand Irenaüs Eibl-Eibesfeldt, commentant ces observations, leur accorde une importante signification analogique chez l’homme.

« Chez l’homme, dit-il, la limitation de l’impulsion sexuelle et du désir à des cycles saisonniers spécifiques a été pratiquement éliminée. La femme est physiologiquement adaptée à répondre à peu près n’importe quand aux désirs de l’homme ; quoiqu’elle ne puisse concevoir que pendant une fraction de temps. Ceci contribue à maintenir un lien avec l’homme sur la base de la récompense sexuelle, et telle est la probable fonction de cette adaptation physiologique [2] »

 

 

Marie Bermond

Maintenir le lien de la femme avec l’homme hors des périodes fécondes telle est donc la fonction de la sexualité humaine permanente, et non la « libération du ventre ». Cette « libération » n’est qu’un moyen. Le lien constant tissé par elle entre l’homme et la femme intègre l’homme dans le monde familial et l’y attache (on sait que chez de nombreuses espèces le mâle abandonne complètement à la femelle toute fonction familiale). C’est grâce à ce lien, et à la famille qui en découle, que l’espèce humaine a pu traverser les hasards de sa préhistoire.

Les hasards du monde technologique sont-ils moins périlleux ? Peut-on impunément pour l’avenir de l’espèce humaine transformer la sexualité de moyen en but ? L’affirmer semble pour le moins téméraire. Là encore, on nous presse au nom d’idéologies scientifiquement controuvées de faire des choix dont les conséquences demeurent inconnues. Sautez, sautez, puisqu’on vous dit qu’il y a un parachute ! Il y est peut-être, Mesdames, mais on préférerait le voir un peu. Les savants, eux, ne l’ont pas trouvé, et vous me permettrez de leur faire, plus qu’à vous, confiance.

 

 

Aimé MICHEL

— –

(*) Chronique n° 32 parue initialement dans France Catholique – N° 1273 – 7 mai 1971.

 

 

 

 

Notes de Jean-Pierre Rospars

 

Simone de Beauvoir

(a) Le manifeste des 343 (tempsreel.nouvelobs.com) est une pétition rédigée par Simone de Beauvoir, parue le 5 avril 1971 dans le Nouvel Observateur, et signée par 343 jeunes femmes, les unes actrices et écrivaines connues, les autres inconnues, mais toutes affirmant avoir subi un avortement. Il est également appelé « manifeste des 343 salopes » car la semaine suivante Charlie Hebdo publie en première page un dessin de Cabu où des hommes politiques se demandent « Qui a engrossé les 343 salopes ? ». Le manifeste commence ainsi : « Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre. »

La fin de l’avant-dernier paragraphe désigne les responsables : « Aux fascistes de tout poil − qu’ils s’avouent comme tels et nous matraquent ou qu’ils s’appellent catholiques, intégristes, démographes, médecins, experts, juristes, “hommes responsables”, Debré, Peyret, Lejeune, Pompidou, Chauchard, le pape − nous disons que nous les avons démasqués. Que nous les appelons les assassins du peuple. Que nous leur interdisons d’employer le terme “respect de la vie” qui est une obscénité dans leur bouche. Que nous sommes 27 000 000. Que nous lutterons jusqu’au bout parce que nous ne voulons rien de plus que notre dû : la libre disposition de notre corps. »

 

Simone Veil

Les signataires défient les autorités car elles enfreignent la loi de 1920 qui réprime l’avortement. Mais le pouvoir renonce à toutes poursuites pénales. C’est une première victoire suivie de plusieurs autres (procès de Bobigny en novembre 1972, procès de Grenoble en mai 1974) jusqu’à l’adoption par l’Assemblé Nationale de la loi Veil libéralisant l’avortement en janvier 1975.

Quel a été l’évolution du nombre d’avortements provoqués en France ? Une étude de chercheurs de l’INED, l’Institut National d’Etudes Démographiques (Population 62 : 57-90, 2007, disponible sur http://www.ined.fr) montre que la réponse à cette question n’est pas simple car les sources de données disponibles ne concordent pas. Les statistiques passées de l’INED indiquaient 250 000 avortements en 1976 (soit 4 fois moins que le nombre indiqué dans le manifeste des 343), 262 000 en 1980, 230 000 en 1987 et 255 000 en 1993, tandis que les statistiques hospitalières indiquaient une augmentation de 180 500 en 1994 à 206 500 en 2003. Les auteurs ne confirment pas cette augmentation et concluent que « la tendance indiquée par les estimations de l’INED (baisse dans les années 1980 et stabilité au début des années 1990) semble correcte. » A titre de comparaison, cela représente de l’ordre du tiers du nombre de naissances (36% des 711 610 naissances en 1993 et 27% des 761 464 naissances en 2003).

Gisèle Halimi

Une étude américaine publiée en 1999 présente un bilan de l’avortement légal dans 54 pays pour la période de 1975 à 1996 (voir http://www.guttmacher.org). Les taux d’avortement, pour 1000 femmes âgées de 15 à 44 ans, sont très variables selon les pays : ils vont de 2,7 en Inde à 77,7 à Cuba en 1996 (12,4 en France en 1995). Dans la plupart des pays ils tendent à baisser sur la période considérée. Les auteurs concluent : « La légalisation de l’avortement a pour effet initial de faire monter le nombre d’avortements déclarés, les procédures légales venant remplacer celles clandestines, avec, probablement, un certain accroissement du nombre total d’avortements pratiqués, sous l’effet de la disponibilité plus généralisée de prestations dénuées de risques. A long terme toutefois, l’expérience largement documentée du monde industrialisé et les informations plus limitées des pays en voie de développement révèlent souvent une baisse des taux d’avortement.

Dans certains de ces pays, la législation libératrice de l’avortement a été combinée avec un accès accru aux services de contraception et, parfois aussi, un soutien gouvernemental accru du planning familial. Les consultations et services contraceptifs qui suivent une intervention abortive sont du reste plus courants dans le contexte de l’avortement légal que dans les circonstances clandestines. La légalisation pourrait dès lors contribuer, en fait, à la réduction du nombre d’avortements pratiqués si elle encourage les efforts d’amélioration de la sensibilisation au planning familial et des prestations offertes. »

(b) Il s’agit de la chronique n° 29 Le sexe et la société apaisée publiée ici le 21 septembre 2009.

(c ) Ce classique, paru d’abord en langue allemande en 1967 sous le titre Grundriss der vergleichenden Verhaltensforschungs, a été traduit en français d’après la 4ème édition (1977) : Ethologie, biologie du comportement, trad. O. Schmitt et V. Helmreich, édité sous la direction de R.G. Busnel, Naturalia et Biologia, Editions scientifiques, Jouy-en-Josas, 1981. Le passage traduit par Aimé Michel se trouve dans le dernier chapitre, « L’éthologie de l’homme », p. 465 ; il se poursuit ainsi : « La disposition de la femme d’éprouver un orgasme comparable à celui de l’homme, est également un apport qui participe au maintien des liens entre partenaires. Ceci augmente sa disposition à se donner, et de plus renforce son lien émotionnel avec le partenaire. Ainsi l’acte sexuel humain a acquis une signification dans la vie sociale qui dépasse de loin le besoin de reproduction. (…) L’acte sexuel renforce les relations entre individus d’une manière qu’on ne trouve pas chez les animaux. En considérant comme immoral l’acte sexuel, en n’y voyant que l’aspect animal de reproduction, on donne une interprétation erronée à l’aspect spécifiquement humain de ce comportement. Cela conduit, à long terme, à modifier le caractère de cet acte et à perturber les relations entre partenaires ».

Du même auteur voir également : L’homme programmé, trad. Anneliese Plank, Flammarion, Paris, 1976.


Sur un sujet proche, relire l’article de Tugdual Derville à propos du procès de Bobigny :

http://www.france-catholique.fr

Notes

[1] R. M. Yerkes : Chimpanzees, a Laboratory Colony (Yale University Press). – En collaboration avec J. H. Elder : Œstrus, Receptivity and Mating in Chimpanzees.

[2] Irenäus Eibl-Eibesfeldt : Ethology (Holt, Rinehert and Winston ; Londres 1970), p. 443. Eibl-Eibesfeldt est un collaborateur de Lorenz à l’Institut Max-Plank de Seewiesen, près de Munich. Son Ethology introduit largement les découvertes de cette science dans le champ de la psychologie et de la psychiatrie humaines. (c ).

 

 

La femme catholique a   repris cet article sur le site France Catholique

 

 


Lettre aux jeunes mamans de l’an qui vient

Le mariage de Joseph et Marie

Vous vous êtes mariées l’an dernier (et il vous semble que c’est déjà très loin) avec un sentiment de joie impatiente, paré de tout le prestige que le rêve accorde aux désirs inassouvis. Puis l’automne est venu ; l’arbre s’est chargé de fruits et vous êtes devenues soudain plus graves.

Andrea MANTEGNA

Vous voilà rendues plus graves encore à l’idée de ce doux fardeau que le ciel vous confie au seuil de l’année nouvelle, et combien soucieuses du sort que lui réserve un monde de plus en plus hostile.

« Que sera cet enfant ? » demandaient ceux qui furent témoins de la naissance du Baptiste ; et conclut l’Evangile, « la main du Seigneur était avec lui ». La simplicité profonde du texte sacré recèle une loi que nous rencontrons souvent : la mission d’un prophète commence dès le sein maternel. Ainsi en fut-il de Samson, de Samuel, de Jérémie, de saint Jean-Baptiste, et de Jésus lui-même. Ainsi de vos propres enfants.

Maternité – Pablo Picasso

Leur histoire la plus secrète, celle peut-être où vous avez le plus d’influence sur eux, plonge ses racines au plus intime de votre âme. Telle est la grandeur de notre destinée, que chaque petit homme venant en ce monde, commence sa vie, recueilli dans une cellule, dans un cloître, dans un sanctuaire.. Savez-vous alors, que vous portez et modelez en vous-même ce que les  mondes coalisés ne peuvent produire : une liberté, une empreinte divine, un réflecteur éternel de la gloire de Dieu. Est-ce assez grand ? Mais votre visage c’est embué de tristesse ; vous vous dites peut-être : « A quoi bon ? » Es-il opportun de mettre au monde un enfant, sous le ciel gris d’un monde décivilisé ? A quoi je m’empresse de répondre que vous enfantez essentiellement pour accroître le nombre des élus, et que l’enfantement d’un petit être, fût-il disgracié par la nature, reste une œuvre bonne, parce que la « surnature « est un bien infiniment plus élevé que tous les biens de  la création. Ce petit être mérite donc qu’on lui consente les plus grands sacrifices : ce qui signifie  pour certaines d’entre vous, l’entrée dans la voie austère de la Sainte Espérance.

Mais permettez-moi de vous parler ici du mystère de votre maternité en lui-même ; non pas seulement en fonction de son terme et de sa finalité dernière, mais en fonction de son exercice propre, de cette mission de porteuses d’homme qui vous est échue, et de ce que cela représente de grâce, de richesse spirituelle et de grandeur morale.

Permettez-moi de vous rappeler l’estime que vous devez avoir pour cette fonction auguste, à laquelle saint Paul attache une valeur rédemptrice, et qui approche, à mon sens, de la grandeur de l’état religieux.

Lutz Binaepfel

Je vois poindre une objection que vous m’aviez maintes fois formulée :

« Cette grandeur ne nous échappe pas, elle nous accable plutôt ! Comment serions-nous à la hauteur de notre mission, nous qui ne pouvons même plus prier comme jadis, étourdies par le bruit, le tracas de notre petit monde, la maison à tenir, les courses à faire ! Il faut savoir notre désarroi quand le soir tombe et que nous nous couchons harassées, vides et honteuses de nous-mêmes ! »

Thérèse de Lisieux

« Alors il nous arrive d’envier les âmes consacrées qui se donnent tout à Dieu.

Pouvons-nous seulement être certaines de faire maintenant la volonté de Celui qui, un jour, au cours d’une retraite, nous fit savoir qu’Il nous aimait et qu’Il nous voulait ses intimes ? ».

Je vous réponds tout de suite, chères jeunes mamans qui me lisez, et vous autres plus âgées, qui œuvrez patiemment depuis de longues années, je vous réponds que nous le savons, que Dieu le sait. Vous êtes parfois tentées par le découragement, par la crainte de ne plus savoir prier, par l’angoisse à la pensée que ceux que vous avez portés et allaités sont déjà, plus ou moins, la proie du paganisme et d la perversion du monde qui vous entoure. Et le doute s’insinue dans votre âme : la pensée d’un échec, d’une mission mal remplie.

C’est alors que vous pensez avec nostalgie à la virginité consacrée et aux trois vœux constitutifs de l’état religieux.

Remplacez donc nostalgie par estime, et vous serez dans le vrai.

Estimez cet état supérieur qui consiste, pour parler comme saint Basile, à ne point laisser des enfants sur la terre mais à en faire monter au ciel, état sublime, il est vrai, où d’autres se sont engagées pour vous permettre de faire correctement sur terre votre devoir de mère chrétienne.

S’il vous plaît, ne considérez pas les trois vœux de religion comme sans rapports avec ce que vous vivez. Ces moyens ont été institués pour dégager les âmes et les attacher irrévocablement à Dieu ; transposez-les dans votre vie personnelle, adoptez-en l’esprit.

Voyez dans les trois vœux de Religion des analogues de ce que vous vivez :

Pauvreté, Chasteté et obéissance !

Est-ce que ces trois liens sacrés ne vous ont pas attachées vous aussi à Dieu, selon un mode très profond et très particulier ?

Voyez comment s’atténuent au cœur d’une mère, l’appât du gain et le goût avaricieux des richesses.

Cette course à l’argent n’a-t-elle pas fait place à la hantise de répandre sur de jeunes têtes ce qu’on ne désire plus pour soi ?

Mères généreuses, oublieuses de vous-mêmes, qui pensez  à vêtir et à distribuer ; femmes toujours debout quand le mari et les enfants sont assis, où est donc votre avarice ?

Vos enfants ne sont-ils pas votre seule richesse ? Et que dire de leur âme que vous apercevez parfois d’un regard furtif, au détour d’une allée, avec une puissance d’intuition dont vos amis les prêtres sont parfois émerveillés !

Puis voyez quel apaisement des passions charnelles vous offrent ses maternités successives, et combien le désir de plaire, de se faire centre, et d’attirer sur vous seules la faveur des hommes, ont fait place à d’autres caresses, celles que vos enfants réclament, et dont le souvenir les suivra toute leur vie.

Caresses chastes et discrètes où passe toute la tendresse de Dieu.

Quant à l’obéissance, avouez que vous ne le cédez en rien à la plus  « observante »  des sœurs de Charité.

Qui ne voit dans quelle implacable sujétion vous fixe le soin des enfants : le journée réglée de cette petite troupe en marche, avec son horaire strict des repas, des classes et des jeux, ne vous laisse pas une minute.

Quelle meilleure garantie de faire la volonté de Dieu et non la vôtre ?

Jeune femme en oraison – Jean de SAINT-IGNY

Une autre source d’inquiétude : la prière.

« Je ne peux pas prier », dites-vous presque toutes, avec un ensemble touchant.

Évitez cette plainte désespérée, car vous le savez, c’est à la prière que toute la vie est suspendue : la vérité de vos gestes et de vos pensées, la qualité de vos sentiments, dépendent de ce mystérieux regard de l’âme vers Dieu : dites-moi comment vous priez, je vous dirais qui vous êtes.

De graves personnes vous ont dit qu’il fallait prier pendant vingt minutes par jour. Facile à dire, Messieurs !

Ce minutage me paraît pécher à la fois par excès et par défaut, car

Notre Seigneur dit qu’il faut prier sans cesse !


Sommes-nous donc des carmélites pour faire ainsi descendre le ciel sur la terre ?

En réponse à cette épreuve de la prière impossible, il n’est que de retourner à une prière possible, qui est la seule vraie : une prière intérieure, si profonde, si intime, que rien ne saura l’empêcher de sourdre au fond de l’âme.

A la limite, la souffrance de ne pas pouvoir prier a déjà valeur de prière.

Il n’est pas nécessaire que cette plainte douce et amoureuse soit toujours formulée. Il suffit quelle vous suive tout le long du jour et quelle jaillisse parfois comme un appel spontané. En bref, tenir pour certain que la meilleures prière est celle ou nous avons le moins de part, cette prière « brève et pure » faite d’élans furtifs, d’invocations et d’oraisons jaculatoires qui, d’heure en heure, donne à vos journées un parfum de ciel. Par-dessus toutes les formes de prières, si nobles soient-elles, il faut donc considérer comme essentielle et toujours possible l’union à Dieu intérieure (sans parole) douce, paisible, affectueuse, filiale, qui est la respiration de l’âme.

François de Salignac de Lamothe-Fénelon, dit FÉNELON, prélat et écrivain français

Bien souvent c’est en enseignant que vous vous instruisez vous-mêmes. Ainsi ferez-vous votre miel des conseils que Fénelon donnait dans sa « Lettre à une mère soucieuse d’enseigner à l’une de ses filles comment on doit faire oraison » :

« Tâchez, lui écrit-il, de faire goûter Dieu à votre enfant. Faites-lui entendre qu’il s’agit de rentrer souvent au-dedans de soi, pour y trouver Dieu, parce que son règne est au-dedans de nous. Il s’agit de parler simplement à Dieu à toute heure, pour lui avouer nos fautes, pour lui représenter nos besoins, et pour prendre avec lui les mesures nécessaires, par rapport à la correction de nos défauts. Il s’agit d’écouter Dieu dans le silence intérieur. Ils ‘agit de prendre l’heureuse habitude d’agir en sa présence, et de faire gaiement toutes choses, grandes ou petites, pour son amour. Il s’agit de renouveler cette présence toutes les fois qu’on s’aperçoit de l’avoir perdue. Il s’agit de laisser tomber les pensées qui nous distraient, dès qu’on les remarque, sans se distraire à force de combattre les distractions, et sans s’inquiéter de leur fréquent retour. Il faut avoir patience avec soi-même, et ne se rebuter jamais, quelque légèreté d’esprit qu’on éprouve e soi. Les distractions involontaires n’éloignent pas de Dieu ; rien ne lui est si agréable que cette humble patience d’une âme, toujours prête à recommencer pour revenir vers lui ».

Si la grâce vous inspire de vous attarder dans une oraison plus longue, pourquoi alors ne pas vous ménager cette oasis une fois par jour ? En ce cas, ne craignez ni le vide ni l’aridité. Faites un acte de foi en la présence de Dieu, situez-vous inlassablement dans l’axe autour duquel votre vie trouvera équilibre et stabilité. Cet axe puissant et fixe auquel il faut toujours revenir, c’est le dogme primordial de la Paternité divine. C’est de là qu’il faut tirer le mouvement d’abandon et de confiance filiale qui vous rendra calmes et fortes ans les jours ombres. Que rien ne vous arrête alors en cette sainte résolution, surtout pas l’épreuve de la nuit spirituelle, qui est le statut même de la foi : ne faut-il pas que la nuit tombe pour qu’on aperçoive les étoiles ?

« Tenez-vous devant Dieu,

disait à sainte Marguerite-marie sa maîtresse des novices,

comme une toile d’attente devant le peintre qui y jettera les plus vives couleurs. »

« Quand Dieu efface c’est qu’il va écrire »

Bossuet

Laissez si possible le père entonner les premiers mots, afin de lui laisser sa place de chef de la prière

Enfin il faut redonner ses droits à la prière en famille, où les enfants prient avec leurs parents. Laissez si possible le père entonner les premiers mots, afin de lui laisser sa place de chef de la prière : à vous de créer le climat qui la rendra possible. Vous verrez alors avec quelle aisance les enfants se meuvent au plan des réalités surnaturelles, et cela vous récompensera de bien des sacrifices.

C’est dans ce goutte à goutte de la prière quotidienne que se revitalise la famille chrétienne, qu’elle puise force et cohésion, qu’elle s’immunise contre les poisons du monde. Grâce à cette référence solennelle de chaque soir, s’il arrive, plus tard, que vos enfants tombent dans le péché, du moins auront-ils cette supériorité sur les chrétiens du siècle : ils sauront qu’ils pèchent.

Vous avez porté vos enfants, vous les avez mis au monde. Mais rien n’est acquis de ce trésor de vie

Louise Vernet sur son lit de mort – DELAROCHE Hippolyte

Toute mère de famille, jusqu’à son dernier souffle, est une femme en travail, qui enfante pour le Royaume.

Ne rejetez pas vos souffrances, vos angoisses, comme des scories étrangères. Elles sont rigoureusement consubstantielles à votre maternité.

Pour finir, considérez la Très Sainte Vierge comme votre grande amie,

elle, le modèle par excellence de toutes les mères chrétiennes :

puisez à pleine main dans les mystères de sa vie à Nazareth les grâces nécessaires à l’accomplissement journalier de votre devoir d’état, a sein d’une existence laborieuse, enjouée et vigilante, où vous maintiendrez en paix votre petit royaume. Vous remplissez alors à l’exemple de Marie, votre mission d’éducatrice faite d’exigence et de ferme bonté ; vous souvenant que « les familles sont des dynasties de vertus, et que tout descend lorsque ce sceptre leur échappe » (Blanc de Saint-Bonnet).

A la question : « Qu’est-ce qu’une mère chrétienne », Mgr d’Hulst, un grand prélat de la fin du siècle dernier, répondait :

 » C’est celle qui fait de la maternité un sacerdoce, qui verse la foi avec son lait dans les veines de son enfant. C’est celle qui apprend aux petites mains à se joindre pour la prière, aux petites lèvres à bégayer les noms bénis de Jésus et de Marie. C’est la mère qui sait caresser et punir, se dévouer et résister. Plus tard, c’est la femme joyeusement sacrifiée qui abdique, au projet d’une sujétion austère, les satisfactions de la vanité ou du plaisir, qui préfère, à la capricieuse liberté du monde, la volontaire servitude du foyer. Cette mère-là sera qualifiée pour enseigner un jour à sa fille la modestie et le dévouement, pour inculquer à son fils, l’amour des vertus viriles et la noble passion du devoir. »

Le Christ et la Vierge dans la maison de Nazareth Francisco Zurbaran

Aux heures douloureuses, vous passerez ainsi de Nazareth au Calvaire, vous tenant debout avec Marie, bien droite au pied de la croix, accomplissant dans votre chair ce qui manque à la Passion du Christ pour le salut de l’âme de vos enfants.
Puis levez les yeux et regardez Marie dans la gloire de son Assomption et de son couronnement : voyez comment Dieu a récompensé sa Mère ; voyez ce qu’a fait la piété du Fils, et tâchez d’y apercevoir un reflet de la couronne qui vous est promise.

Le Retable d’Issenheim – La Vierge – Matthias Grünewald

La femme catholique a recopié ce texte de Dom Gérard m.b. sur la revue ITINÉRAIRES

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